Le mercure dans les rivières et les lacs européens en période de changement climatique

27 juillet 2022, Dr Patrick Jacobs

L’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) classe le mercure parmi les dix produits chimiques les plus dangereux au monde. En Europe, presque tous les pays se sont engagées à minimiser les émissions de mercure en signant la Convention Minimata. Dans l’article qui suit, le Dr Patrick Jacobs explique pourquoi l’attention devrait être portée sur les effets du changement climatique lors de l’examen et de l’évaluation des risques de contamination par le mercure dans les rivières européennes.

Cet article est basé sur les conclusions et l’expérience de l’équipe internationale d’experts de TAUW qui a travaillé sur les problématiques de mercure depuis plusieurs années. En Septembre 2022, nos experts donneront une présentation à ce sujet à la RemTech Expo en Italie, et aborderont spécifiquement le problème du mercure dans les sédiments des lits des rivières européennes.

 

Pourquoi le mercure est-il un tel problème dans l'eau ?

Le rapport sur le mercure de l'Agence européenne pour l'environnement (AEE) montre une fois de plus clairement que le mercure présente le plus grand risque dans les rivières, les lacs et les océans, où il est souvent présent sous la forme la plus toxique, le méthylmercure, qui est facilement absorbé par les animaux, notamment les poissons, et s'accumule ensuite dans la chaîne alimentaire aquatique.

L'état des masses d'eau en Europe est surveillé et évalué sur la base de la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE). La DCE définit l'état chimique des masses d'eau et oblige tous les États membres à évaluer l'état chimique et écologique de leurs eaux par rapport à la directive européenne EC EQS (2008/105/EC, modifiée par 2013/39/UE). Cette directive fixe des normes de qualité environnementale (NQE) pour certaines substances et groupes de substances, dont le mercure, qui sont valables dans tous les États de l'UE. Pour la plupart de ces substances surveillées, les normes de qualité environnementale ne sont dépassées que dans quelques tronçons d'eau en Europe. Avec le mercure, cependant, la situation est différente. En Allemagne, par exemple, le mercure (ainsi que les éthers diphényliques polybromés ou PBDE) est un problème presque omniprésent dans les eaux de surface. Ce constat est conforme aux conclusions de nombreux autres États membres de l'UE : les données actuelles montrent que sur les quelque 111 000 eaux de surface de l'UE, près de 46 000 ne respectent pas les NQE pour le mercure qui ont été fixées pour protéger les oiseaux et les mammifères piscivores (concentration maximale admissible de 70 ng/L dans la phase aqueuse et de 20 µg/kg dans le biote) [EEA 2018].


D'où vient le mercure présent dans les eaux européennes ?

Comme pour de nombreux polluants organiques persistants issus d'une grande variété de processus industriels présents dans les principaux bassins hydrographiques européens, il est difficile de retracer l'origine et les voies de dispersion du mercure dans les eaux de surface. Certaines sources primaires historiques ont cessé leur activité depuis longtemps. Cependant, les dépôts restants dans le sol et les sédiments agissent comme des sources secondaires à long terme pour l'environnement aquatique. Aux Pays-Bas et en Espagne, entre autres, nous avons constaté une accumulation importante de mercure dans les sédiments à proximité des points de déversement des eaux usées et des eaux pluviales proches d'anciens sites industriels clés (c'est-à-dire des usines de chlore et de soude caustique) où le mercure était utilisé. Ces activités ont également entraîné une propagation et un dépôt supplémentaires des sédiments contenant du mercure plus en aval dans les sections des rivières, des rives et des plaines inondables.

Ces dépôts de sédiments contenant du mercure sont particulièrement préoccupants car les organismes aquatiques entrent en contact direct avec la contamination liée à la surface des particules ou dissoute dans l'eau interstitielle. En outre, l'augmentation des inondations et des crues crée une source de danger supplémentaire lorsque le mercure lié aux particules est davantage mobilisé à partir des sédiments et des sols des plaines inondables.

 

Comment le changement climatique augmente-t-il le risque environnemental lié au mercure ?

Au cours de la dernière décennie, de nombreux pays européens ont connu à plusieurs reprises des inondations extrêmes qui ont transformé des cours d'eau même mineurs en eaux déchaînées, causant des dommages considérables aux infrastructures. Les preuves scientifiques suggèrent de plus en plus que les inondations graves augmenteront en fréquence et en intensité au cours des prochaines décennies en raison du changement climatique mondial.

Outre les sédiments, les sols des plaines d'inondation situées en aval des bassins versants urbains ou industriels peuvent désormais devenir une source de pollution héritée pour le milieu environnant, lorsque des polluants liés à des particules sont mobilisés par des inondations de plus en plus fréquentes et extrêmes. En raison des propriétés bioaccumulatrices et toxiques du mercure, en particulier du méthylmercure, la bioaccumulation et la bioamplification du mercure dans les réseaux alimentaires aquatiques et terrestres à la suite de ces inondations jouent un rôle croissant dans le cycle global du mercure. Par le biais de la consommation de produits animaliers et de cultures, le mercure finit également par pénétrer dans l'organisme humain, ce qui représente un risque potentiel pour la santé des personnes concernées.

 

Quelles mesures peuvent être prises?

Réduire au minimum les risques pour les personnes et l'environnement est souvent la principale motivation lorsqu'il s'agit de traiter des sites et les zones contaminés par le mercure. Afin de réduire efficacement les risques pour l'homme et l'environnement, les évaluations des risques pour la santé humaine (EQRS) et les évaluations des risques écologiques (ERE) sont des outils nécessaires et efficaces qui doivent être inclus dans la prise de décision et la planification des mesures de gestion les plus adaptées. Cela permet d'établir des objectifs, des cibles et des cadres d'évaluation réalistes et clairs. En outre, ces instruments offrent la possibilité d'impliquer les parties prenantes dans la prise de décision et d'encourager l'acceptation des mesures de gestion et de leurs résultats.

Nous pensons qu'une base essentielle pour de telles évaluations des risques peut être fournie par des études détaillées de cartographie et d'inventaire qui établissent les endroits où les risques environnementaux liés au mercure sont les plus importants dans les systèmes fluviaux européens - en particulier en ce qui concerne les risques de graves inondations. Pour cela, il convient de connaitre d’une part les dépôts historiques de sédiments dans les cours d'eau, les ruisseaux et les sols des plaines d'inondation et d’autre part de quantifier les concentrations de mercure existantes et les mécanismes de dispersion associés lors des inondations et sous différentes conditions hydrologiques.

Références et informations complémentaires :

  • EEA. 2018. Mercury in Europe’s environment – a priority for global action. Luxembourg: European Environment Agency.

  • Umweltbundesamt. 2022. Chemischer Zustand der Fließgewässer. https://www.umweltbundesamt.de/daten/wasser/fliessgewaesser/chemischer-zustand-der-fliessgewaesser#der-chemische-zustand-der-gewasser. Accessed 03.06.2022. 

  • Crawford SE, Brinkmann M, Ouellet JD, Lehmkuhl F, Reicherter K, Schwarzbauer J, Bellanova P, Letmathe P, Blank LM., Weber R, Brack W, van Dongen JT, Menzel L, Hecker M, Schüttrumpf H, Hollert H. 2022. Remobilization of pollutants during extreme flood events poses severe risks to human and environmental health. J Hazard Mat 421: 1 -11. 

  • Alfieri L, Burek P, Feyen L, Forzieri G. 2015. Global warming increases the frequency of river floods in Europe. Hydrol. Earth Syst. Sci. 19: 2247–2260.

 

 

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